La Communauté nationale s’est jointe à la communauté internationale le 1er mai 2013 pour fêter la 127ème Edition de la fête du travail sous le thème : « Travail décent et Lutte contre la Corruption ». L’actualité et l’originalité du thème suscitent un questionnement conséquent : le travailleur camerounais exerce-t-il dans les conditions décentes ? Les conditions de travail et de rémunération au Cameroun favorisent-elles la lutte contre la corruption ?

Du travail décent :

Au sens de l’Organisation Internationale du Travail, on entend par travail décent, une activité exercée dans les conditions de sécurité, de sureté, de santé, de salubrité et de durée raisonnable. En un mot, un travail décent est celui qui ne porte atteinte ni à la dignité ni à l’honneur du travailleur et qui permet à ce dernier de s’épanouir spirituellement et matériellement. L’article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme stipule que : « Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et, complétée, s’il y a lieu, par tous moyens de protection sociale » Un travail décent est donc également celui qui est sanctionné par une juste rémunération susceptible de favoriser le bien-être socioéconomique du travailleur. Le Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels précise davantage le contenu du travail décent dans son article 7 :

« Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir de

conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment:

a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs:

i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans

distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les

conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont

bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même

travail;

ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dispositions du

présent Pacte;

b) La sécurité et l'hygiène du travail;

c) La même possibilité pour tous d'être promus, dans leur travail, à la catégorie supérieure

appropriée, sans autre considération que la durée des services accomplis et les

aptitudes;

d) Le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés. »

Le travail décent s’oppose à ce que le philosophe allemand Karl Marx appelle le « travail aliéné » qui découle du mode de production capitaliste dans lequel l’ouvrier, étant exploité, est étranger à son travail, aux moyens de production voire au produit de son travail. La rémunération qui en découle ne suffit qu’à entretenir la force du travail. On peut apprécier la décence du travail à la lumière de 06 principaux facteurs :

La sureté ;
La sécurité ;
La salubrité ;
La santé
La rémunération juste et équitable ;
La protection sociale ;

Le travailleur camerounais jouit-il des avantages sus-évoqués ? On pourrait être tenté de répondre par l’affirmative au regard de l’impressionnant arsenal juridique déployé pour la protection du travailleur camerounais. En effet, sur le plan international, le Cameroun a ratifié plus de 40 conventions[1] relatives à l’amélioration des conditions de travail et de rémunération des travailleurs et il est tenu de respecter les engagements y relatifs, en vertu du principe du ‘pacta sun servanta’. Au plan national, le Cameroun s’est doté de la n°92/007 du 14 août 1992 portant code du travail. Ce Code considère le travail à la fois comme un droit fondamental et un devoir national pour tout citoyen valide et adulte (Art2). Il interdit le travail forcé ou obligatoire (art 2) et met l’accent sur les conditions du travail, notamment, sa durée (art 80), les modalités du travail de nuit (art 81), les modalités du travail des femmes et des enfants (art 83), la santé (art 98), la sécurité (art 95), etc. En appui au code du travail, plus de 20 textes réglementaires[2] ayant force de loi ont également été pris, sans oublier les multiples conventions collectives nationales négociées et adoptées dans les milieux professionnels spécifiques. Sur le plan institutionnel, il y a le ministère du Travail et de la Sécurité sociale qui est chargé de veiller à l’application de loi et des règlements.

C’est avec regrets et stupéfaction qu’on constate la mise en œuvre mitigée des instruments juridiques : le travail décent au Cameroun est un lointain mirage, une pure vue de l’esprit, car la réalité n’est guère très éloignée du travail aliéné. L’analyse deux éléments constitutifs du travail suffit à étayer un tel jugement :

Les obstacles au travail décent

L’extrême faiblesse du SMIG :

Le salaire minimum au Cameroun est complètement irréaliste au regard de l’inflation permanente dans nos marchés. Comment expliquer que le SMIG camerounais soit à 28 000 f pendant que celui de la Guinée Equatoriale est de 150.000 f, que celui du Gabon oscille entre 100 et 150.000 f, que celui du Tchad est à 100.000 f et celui de la République centrafricaine est 50.000f ? Le Cameroun serait-il subrepticement le pays le plus pauvre de la zone CEMAC ? C’est invraisemblable ! Comment lutter efficacement contre la corruption si on gagne 28 000 F par mois ? Tout au contraire, « face à la vie chère » et à la faiblesse des revenus mensuels, le prétexte de MOANA est parfaitement justifié. Selon MOANA, les pauvres n’ont d’autre choix que de recourir à la corruption pour vivre. Même si le philosophe camerounais Lucien Ayissi a démontré le caractère réductionniste, paralogique et aporétique d’un tel prétexte dans son ouvrage, Corruption et Pauvreté[3], il importe néanmoins de relever que la corruption peut être compréhensible (mais pas pardonnable) pour un Camerounais qui gagne mois de 30. 000f le mois, alors qu’il en a besoin d’au moins le double pour sa survie. Un travail qui permet juste de survivre n’est pas décent.

La prépondérance du travail informel ;

Au Cameroun, 90% des travailleurs évoluent dans le secteur informel et 90% de l’économie nationale est informel. Sachant que le secteur informel est dit informel parce qu’il est rebelle à toute régulation et hostile au contrôle de l’Etat et qu’il ne génère quasiment aucun revenu à l’Etat, étant entendu que ses impositions fiscales sont nulles. Ce secteur évolue donc en marge de la législation en vigueur. Le secteur informel évolue donc en marge du Code du travail et toutes les conventions nationales ou internationales qui régissent le monde du travail. La conséquence tragique et pathétique qui en découle est que 9 Camerounais sur 10 travaillent dans les conditions indécentes : exposition aux risques d’accidents et autres, activités précaires, insalubrité, faible rémunération, absence de couverture sociale, etc. Des conditions qui exposent fatalement 90% des travailleurs camerounais à la corruption au nom de la survie et non de la cupidité.

Par delà la marche des travailleurs et les diverses réjouissances au sein des entreprises, la fête du travail est davantage un moment d’évaluation des progrès enregistrés dans l’amélioration des conditions de travail, de prise de conscience des défis qui interpellent le travailleur, l’employeur et le régulateur qu’est l’Etat, afin que les uns et les autres conjuguent leurs efforts pour que le « travail décent » ne soit plus le simple slogan d’un jour mais une réalité pour le travailleur camerounais.

Par Armand AMOUGOU

Enseignant-chercheur

[1] Pour l’ensemble des conventions internationales relatives au travail ratifiées par le Cameroun, voir Code du travail camerounais annoté, sous la Direction de Paul-Gérard Pougoué, Yaoundé, PUA, 1997, annexe II, pp.385-524.

[2] Ibidem, annexe I ? PP-309-382.

[3] AYISSI, Lucien, Corruption et pauvreté, Paris, L’Harmattan, Collection « Pensée Africaine », 2007, 178 p.

travail decent : realite ou slogan

TRAVAIL DÉCENT AU CAMEROUN : SLOGAN OU RÉALITÉ ?